Il y a bientôt un an, Microsoft annonçait le rachat de la plateforme en ligne de dépôts de code Github pour la somme de 7,5 milliards de dollars. Un rachat peu commun et tout sauf anodin pour Microsoft qui cherche depuis quelques années à lisser son image et peut être aussi à ré-écrire l'histoire en faveur de l'Open Source dont il se ferait chantre pour mieux lutter contre le logiciel libre.
Github est toujours à l'heure actuelle la plus grande plateforme de dépôt de code. Largement adopté par les développeurs comme les entreprises, la possibilité de rendre accessible du code en fait la plateforme qui regroupe à ce jour le plus de projets Open Source. Son mode de fonctionnement axé sur les puissantes fonctionnalités collaboratives de Git, et la possibilité de souscrire à une offre payante permettant de "fermer" le code de ses projets ont aussi séduit beaucoup d'entreprises.
Le plus remarquable est que beaucoup d'entreprises ont joué le jeu de l'Open Source pour être en mesure de s'offrir une vitrine sur ce qui s'est imposé en dix ans comme un véritable réseau social du code. En particulier pour cette efficacité communicationnelle, Microsoft s'est intéressé assez tôt à Github et en est même devenu le plus gros contributeur (deux fois plus que Google, le second).
L'adoption de Github par Microsoft ne pourrait à elle seule justifier son rachat, il y a probablement d'autres explications. On évoquera dans un premier temps quelque chose de très pragmatique et qui s'inscrit bien dans la lignée du Microsoft que l'on connait depuis 30 ans : s'offrir le réseau social le plus prisé des développeurs, avec plus de 25 millions d'utilisateurs au moment du rachat, ça assure un canal de recrutement en or pour la direction des ressources humaines... et les développeurs sont un peu la matière première dont il se nourrit. En s'assurant un vivier constant de développeurs, Microsoft ne fait qu'assurer un peu plus la durée de vie de ses produits propriétaires (de Windows aux licences Visual Studio et .NET Framework).
Nous pourrions également déceler chez Microsoft un besoin stratégique de diversification, une théorie qui semble trouver un certain écho lorsque l'on voit qu'Azure, sa plateforme cloud représente un poids de plus en plus significatif dans le bilan de la société.
Aujourd'hui présenté comme un géant du Net, il faut tout de même rappeler que Microsoft, à l'époque de Bill Gates, a bien failli passer totalement à côté d'Internet, et que ce faisant il a déployé le tapis rouge à Google. De multiples rachats comme celui de Linkedin en 2016 travaillent pour tenter de lutter contre cette image, mais cela risque de prendre de nombreuses années.
Il est également intéressant de voir que Microsoft n'a pas migré Github sur Azure. En fait, Github dispose de sa propre infrastructure physique son propre AS AS36459 , ses DNS sont chez AWS et redondés chez Dynect. Github n'a pas non plus opté pour Outlook.com...
$host github.com
- github.com has address 140.82.118.3
- github.com mail is handled by 1 aspmx.l.google.com.
- github.com mail is handled by 10 alt3.aspmx.l.google.com.
- github.com mail is handled by 10 alt4.aspmx.l.google.com.
- github.com mail is handled by 5 alt1.aspmx.l.google.com.
- github.com mail is handled by 5 alt2.aspmx.l.google.com.
Peu d'entreprises dans le monde ont autant dénigré et lutté contre le logiciel libre comme Microsoft l'a fait. L'annonce de ce rachat a donc naturellement créé une vague de critiques, et nombre de développeurs ont tout bonnement quitté Github. Mais pour le moment, un an après ce rachat, le doute plane toujours quant aux réelles intentions de Microsoft, tant et si bien que la multinationale est obligée de se justifier sur sa stratégie qui reste à ce jour assez mal définie.
Les inquiétudes sont légitimes, car Microsoft, fidèle à la stratégie d'une multinationale s'est fait une spécialité de l'art de créer du doute. En nommant Nat Friedman à la tête de Github, on offre aux communautés du libre une personne "neutre" dans le sens où il s'agit d'une personne qui a toujours eu les pieds dans les deux mondes, surtout dans de l'open source avec un peu de libre aussi, et jamais bien loin de Microsoft (Novell, SuSe, Gnome, Helix, Ximian, Microsoft).
Les communautés de libristes, et de plus en plus en plus d'entreprises, n'apprécient pas toujours de se retrouver du jour au lendemain dans une situation de dépendance et potentiellement de lockin vis-à-vis d'un acteur aussi dominant que Microsoft. Gitlab offrant sensiblement les mêmes fonctionnalités que Github et permettant l'import d'un projet depuis Github, beaucoup ont déjà fait le choix de migrer sur des instances privées de Gitlab, en SaaS ou en installation propre. C'est un choix fort compréhensible mais on peut aussi voir dans ce choix une forme de victoire indirecte pour Microsoft qui aura réussi par ce rachat à entamer la partie sociale, publique et visible de ces projets libres. Certes le code demeure disponible, ailleurs, mais ne bénéficie plus de la visibilité et de la fluidité directe des interactions générées avec d'autres développeurs invités à forker leur code.
Ce mouvement a été massif, au lendemain de l'annonce du rachat, Gitlab annonçait plus de 100 000 nouvelles instances créées .
Toujours au lendemain de cette annonce, un hashtag #GithubExodus circulait massivement sur Twitter, avec des tweets parfois drôles mais exprimant toujours le malaise que cette annonce a suscité.
Un an après, la plupart des utilisateurs de Github continuent à utiliser la plateforme, tout en restant attentifs aux annonces et aux "garanties" que Microsoft pourrait donner, ce qu'il ne semble pas non plus pressé de faire. Mais même si Microsoft venait un jour à gagner la confiance de ces communautés de développeurs et des entreprises ayant fait le choix de Github, le simple fait d'avoir racheté Github a eu un impact sur ce qui faisait jusque là la magie de Github, son côté social et vibrant où forks et ouverture aux contributions externes étaient la norme. Pour les développeurs chinois, le spectre Huawei plane et on voit que ce rachat devient même un enjeu politico-économique international même si Github s'en défend et assure qu'il restera ouvert aux développeurs chinois.
Enfin, une autre vision, pragmatique, serait de dire que Github était en soi un problème puisqu'il a affaibli le libre en le centralisant un peu trop, offrant ainsi une proie de choix à plus gros que lui.